Dans cette étude, Marie-Françoise Mouriaux trace à grands traits l’histoire du travail en temps partagé, c’est-à-dire d’une pluriactivité choisie.
Alors que la mobilité professionnelle et le cumul d’emplois ont longtemps relevé de la seule responsabilité du travailleur, le recours de plus en plus important à des contrats ponctuels ou à temps partiel, à partir des années 70, a montré les limites d’une trop grande flexibilité pour les salariés (notamment du point de vue de la protection sociale, mal adaptée à cette situation) et les entreprises (gestion coûteuse des contrats, augmentation du turn-over...)
C’est dans ce contexte de flexibilité et de chômage croissant qu’un groupe de cadres lyonnais a créé, en 1992 la première association de « Compétences en Temps Partagé », ayant pour but de promouvoir la combinaison de plusieurs emplois pérennes. L’objectif de l’association, qui a rapidement essaimé, est de repérer et d’exploiter des gisements d’emplois qualifiés à temps partiels, notamment dans les PME. Il s’agit de promouvoir et de faciliter le cumul d’emplois, sans sortir de la relation de travail classique.
Parallèlement, de nouvelles formes d’emploi sont apparues à partir des années 70, grâce à une innovation dans le droit français : la création du « tiers employeur ».
Bien que le prêt de main-d’œuvre à but lucratif et le marchandage restent des délits, la légalisation, en 1972, du travail temporaire (intérim), a introduit la possibilité de relations de travail triangulaires, entre un employeur (ou tiers employeur), un salarié, et un utilisateur chez qui le salarié réalise le travail pour lequel il est rémunéré.
Le tiers employeur peut être :
une société de travail temporaire, depuis 1972 ;
un groupement d’employeurs (GE), depuis 1985 ;
un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, depuis 1988 ;
une entreprise de travail en temps partagé, depuis 2005.
Deux autres tiers employeurs sont également apparus :
la société de portage salarial (en marge de la légalité), depuis le milieu des années 80 ;
la coopérative d’emploi et d’activité (une SCOP), depuis le début des années 90.
En ce qui concerne les groupements d’employeurs, Marie-Françoise Mouriaux note que le bon fonctionnement du dispositif « requiert de réels échanges entre des utilisateurs qui se cooptent » et sont collectivement responsables des salariés du groupement.
Or l’ouverture progressive à des employeurs de plus en plus importants et de plus en plus divers pousse à s’interroger : « jusqu’où peuvent se développer les GE sans risque d’abandon des principes constitutifs du dispositif ? »
En ce qui concerne le portage salarial, qui « répond indéniablement à un besoin », elle rappelle que « l’absence de cadrage juridique peut être préjudiciable aux indépendants tentés par la formule ».
L’étude porte ensuite rapidement sur les coopératives d’emploi et d’activité, qui exercent un portage sans finalité lucrative, et la récente possibilité de créer des entreprises de travail en temps partagé, la loi restant « difficilement applicable en l’état ».
En conclusion, Marie-Françoise Mouriaux souligne « la nécessité de formaliser les enjeux de solutions proposées comme allant de soi mais dont la logique, poussée à l’extrême, pourrait conduire à la banalisation d’entreprises sans salariés », « louant du personnel le temps d’une prestation, troquant ainsi le statut de patron contre celui de client ».